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En invoquant le « réarmement », Emmanuel Macron tente de sauver une rhétorique qui s’use avec le temps

Histoire d’une notion. Dans son discours de politique générale du 30 janvier, le premier ministre, Gabriel Attal, reprend un terme déjà installé par Emmanuel Macron : le « réarmement ». Le président de la République l’avait abondamment employé lors de sa conférence de presse du 16 janvier, comme lors de ses vœux, le 31 décembre 2023. Le chef de l’Etat a fixé le cap pour le nouveau gouvernement : reconstituer un arsenal « civique », « agricole », « académique », « scientifique », « industriel » ou « démographique ».
Ce projet de régénérescence n’est pas sans évoquer le « réarmement moral », un mouvement politico-religieux qui a pris forme dans les années 1920 aux Etats-Unis et qui a joui d’une grande influence dans l’après-guerre. Robert Schuman, l’un des Pères fondateurs de l’Europe, semble en avoir été proche : en 1958, il est présent à Caux (Suisse) au siège du mouvement, lorsque Henri Fesquet, envoyé spécial du Monde, se rend sur place en reportage. Mais, en France, la figure la plus étroitement associée au réarmement moral est Gabriel Marcel (1889-1973), le maître à penser de Paul Ricœur, dont se revendique Emmanuel Macron.
Le pasteur américain Frank Buchman (1878-1961) fonde, dans les années 1920, ce mouvement qui se définit par son œcuménisme et son libéral conservatisme. Ce n’est qu’au cours de la décennie suivante qu’il prend le nom de réarmement moral, dans un climat de tensions internationales et d’affrontement idéologique. La formule s’inspire de l’appel à un « renouveau spirituel » lancé en 1937 par Pie XI dans son encyclique sur le communisme. L’année suivante, Buchman déclare dans un discours prononcé à Londres : « La crise est essentiellement morale. Il faut que les nations se réarment moralement. (…) Une vague de désintéressement absolu envahissant les nations mettrait fin à toute guerre. »
Pour y arriver, le mouvement incite ses adeptes à adopter une ligne de conduite stricte, fondée sur quatre valeurs : la pureté, l’honnêteté, le désintéressement et l’amour. La foi en Dieu renforcée devait permettre aux hommes d’échapper à l’égoïsme et de mettre le marché au service de tous. « Le réarmement moral incarne la frange conservatrice de la troisième voie qui vise à définir une philosophie entre capitalisme et communisme », relate Audrey Bonvin, une historienne dont la thèse de doctorat portait sur ce mouvement.
Emmanuel Macron ne se revendique pas de ce mouvement. Mais cet emprunt en rappelle un autre : le processus de décivilisation, un concept élaboré par le sociologue Norbert Elias (1897-1990) et employé par le président de la République en mai 2023. A chaque fois, un glissement de sens est opéré.
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